Raymond Queneau (1903-1976) : écrivain cynique et poète « chien de son temps »


Lié d’abord au surréalisme avant de rompre avec ce mouvement, Raymond Queneau a publié Le Chiendent, son premier roman, en 1933. Sous-titré « roman en vers », Chêne et chien a paru en 1937. Il est question d’une psychanalyse et d’une fête au village. L’ouvrage réunit d’abord des souvenirs d'enfance et de jeunesse. Dans son texte, Raymond Queneau avance que son patronyme est dérivé du dialecte normand : la racine « quen » renverrait à « quesne » ou « quenne », ce qui signifie chêne. « Ken » désignerait un chien et « quenot » un petit chien. De par son nom, Queneau serait donc à la fois « chêne et chien ».


A partir de cette double définition, Raymond Queneau a élaboré une mythologie forgée sur une double identité. La première emprunte à la noblesse du chêne. Sublimée, cette dimension qui rend possible la parole poétique. La seconde identité est « canine », violente et dominée par les bas instincts. « L’animal dévore et nique / telles sont ses deux qualités », écrit-il. L’identité de « l’animal » doit être combattue ou dépassée. Il convient de lui opposer l’autre identité, capable de tirer parti des facultés morales et intellectuelles représentées par le « chêne ». Plutôt que de chien du point de vue zoologique et même symbolique, il s’agit de bestialité, c’est-à-dire de ce qui ressemble dans les comportements de l’homme à ceux de l’animal.


L’animal, lui, n’est ni bestial ou non-bestial. Il n’est… ni « chien » ni « chêne ». Même si des figures queniennes, animales ou non, sont assimilables au « chien », dans une dualité avec le « chêne », il s’agit davantage de figures emblématiques ou allégoriques. Lorsqu’il évoque des animaux, Raymond Queneau les décrit comme vivant chacun selon son espèce. Il n’y a pas de hiérarchie dans le vivant. Seule compte la question métaphysique du sens de la vie à laquelle le chêne en l’homme s’efforce de répondre. Exempt de culpabilité, le monde animal n’est toutefois pas préservé de la souffrance. Cette dernière, qui peut heurter la sensibilité humaine, permet de poser la question du mal issu de la main de l’homme.


« Cynique » Raymond Queneau ? Dans Chiens de plume, Jean-François Louette identifie l’auteur de Chêne et chien parmi les écrivains qu’il est possible d’assimiler à un certain cynisme du vingtième siècle, ce cynisme qui « accuse la modernité ». S’il y a de l’être-chien dans Raymond Queneau, il y a aussi de ce qui fait le poète, « chien de son temps », selon la définition du Poète par Elias Canetti, qui « fourre son museau humide dans tout. »


Très attaché à Taï-Taï, sa chienne inhumée au cimetière des animaux de Suresnes, Raymond Queneau est l’auteur du Chien à la mandoline (1958) et de deux nouvelles dans lesquelles apparaissent des chiens. Dans A la limite de la forêt (1947), Dino est « civilisé », sage, savant, alliant à la fois douceur, délicatesse et intelligence. Dans la seconde, Dino est un chien qui « n’existait pas ». Compagnon invisible, sa disparition est durement ressentie. « Dino était parti, m’avait quitté avec mes rêves, m’abandonnant, l’infidèle, à la stricte réalité d’une place réservée dans un grand express européen. »


Raymond Queneau admirait Lewis Carroll pour son inventivité narrative son goût de l’enfance et ses jeux de mots. Dans « De quelques langages animaux imaginaires et notamment du langage chien dans Sylvie et Bruno », il a détaillé la phonétique et la grammaire du « langage chien ».

Collection Jean-Marie Queneau. Droits réservés
Collection Jean-Marie Queneau. Droits réservés

Références bibliographiques:

Jean-François Louette, Chiens de plume, du cynisme dans la littérature française du XXe siècle, Chêne-Bourg (Suisse), Éd. la Baconnière, 2011 BU-DL 840.900 91 LOU J

Raymond Queneau, « De quelques langages animaux imaginaires et notamment du langage chien dans Sylvie et Bruno », Cahiers de L’Herne, 1971, repris dans Contes et propos, 1981, p. 261-269. BU-DL XD 10902

Photographie de Raymond Queneau avec son fils Jean-Marie et Taï-Taï dans le cahier iconographique des Cahiers de L’Herne, 1971 BU-DL XC11768

Lewis Carroll, Sylvie et Bruno, suivi de Sylvie et Bruno suite et fin. Préface de Jean Gattégno. Traduction de Fanny Deleuze, Paris, Éditions du Seuil, 1972 BU-DL XB6428